Un des piliers d’une bonne gouvernance est la transparence. Normalement, un fonctionnement démocratique n’a de sens que si les parties prenantes, en l’occurrence les collaborateurs, sont au courant de la santé de l’entreprise : son chiffre d’affaires, son taux de croissance, la satisfaction de ses clients, les bénéfices qu’elle réalise, etc.
Dans certaines entreprises, cette transparence va jusqu’à partager les salaires de chaque collaborateur. Il y en a même qui laissent les employés décider eux-mêmes du montant de leur rémunération.
Découvrons, dans cet article, comment elles y arrivent, et comment cela est devenu un sacré avantage pour elles.
Attention : dévoiler les salaires de tout le monde ne se fait pas du jour au lendemain, sinon, cela peut vite mener à la catastrophe.
En fait, la transparence des salaires est la dernière pierre à poser sur une culture d’entreprise globale, qui promeut l’équité entre les collaborateurs et le partage de la richesse.
Il faut donc préalablement s’assurer, par exemple, qu’il n’y a aucun écart de salaire injustifié entre des salariés occupant le même poste. Si en rendant les salaires transparents, vos collaboratrices découvrent alors qu’elles sont moins bien rémunérées que leurs équivalents masculins : ce n’est pas idéal.
Autre exemple : dans la start-up Lucca, qui pratique la transparence des salaires, le plus haut revenu est 4,5 fois supérieur au plus bas, ce qui n’est pas déraisonnable. Si, à l’inverse, vous êtes une entreprise comme Carrefour, où votre PDG gagne 553 fois le SMIC : peut-être qu’avant la transparence, le plus gros chantier à prévoir est la répartition de la valeur au sein de l’entreprise.
Ceci étant dit, aujourd’hui, il y a grosso modo deux moyens de rendre les salaires transparents.
Afin de rendre les salaires les plus équitables possibles, des entreprises comme Shine ou Alan ont créé des grilles de salaire, en dehors desquelles il est impossible de négocier. Dans ce cas, votre salaire n’est pas déterminé par votre capacité de négociation, ou votre aptitude à vous vendre, mais plutôt en fonction de critères objectifs et transparents, qui ont été très bien réfléchis en avance.
Le premier : le métier.
Marketing ? Dev ? RH ? Ce premier paramètre varie en fonction de la rareté du métier sur le marché du travail, et de l’impact qu’il a sur la boîte.
Ensuite, le niveau, de débutant à expert.
Ce facteur dépend des responsabilités confiées au salarié, définies préalablement sur la grille.
Puis, l’ancienneté.
Par exemple, après 8 à 10 ans d’expérience professionnelle, on ajoute un bonus de 10 % au salaire obtenu avec les deux premiers paramètres.
Et enfin, le paramètre “vie perso”.
Par exemple, Shine accorde un bonus pour les salariés qui vivent à Paris, ou ont des personnes à charge.
Ces grilles de salaire sont réévaluées chaque année pour correspondre au marché, et sont partagées en toute transparence.
Ainsi, les collègues ne connaissent peut-être pas exactement le salaire spécifique de Jean-Marc de la compta, mais ils ont une vraie connaissance de la valeur accordée à chaque métier dans l’entreprise.
La start-up Lucca est allée encore plus loin, s’affranchissant des grilles de salaire, et en laissant leurs collaborateurs choisir le montant de leur rémunération eux-mêmes.
Ça peut paraître fou, mais ça fonctionne, et notamment grâce à deux mécanismes.
D’une part, parce que ces salaires sont transparents. En l’occurrence, si Jean-Marc de la Compta a envie de tripler son salaire, il va devoir le justifier à ses collègues. Sinon, bonjour l’ambiance.
Ça marche aussi parce que les collaborateurs connaissent la santé financière de l’entreprise ; ils sont responsabilisés. Les salariés qui s’octroient une augmentation savent qu’ils doivent ensuite performer, atteindre leurs objectifs, prendre plus de responsabilités pour justifier cette hausse.
Résultat : les salaires sont entre 3 et 4 % plus élevés que la moyenne du marché, ce qui n’est finalement pas énorme, et Lucca compte maintenant 500 salariés.
Seul hic : ce système avantage surtout les profils qui savent se vendre publiquement, qui ont confiance en eux. Les profils plus discrets, moins politiques, mais qui apportent quand même une énorme valeur à l’entreprise ont tendance à se sous-évaluer. Et ici, on risque d’amplifier le phénomène d’inégalités salariales, avec bien souvent des femmes qui se sentent moins légitimes que les hommes pour négocier leurs salaires.
Quand c’est bien fait, et dans un contexte de gouvernance démocratique, la transparence des salaires peut être un réel atout pour l’entreprise.
D’abord, parce que ça vous oblige à avoir des salaires justes et équitables. Les entreprises qui partagent leurs salaires ne peuvent pas se permettre de laisser passer des écarts de salaires délirants, ou des inégalités hommes femmes.
Ensuite, cadrer la politique de rémunération permet une ambiance plus saine entre collaborateurs – et avec les managers. On prend les devants pour limiter le risque de frustrations et fantasmes vis-à-vis du salaire des collègues.
En plus, et c’est surtout le cas avec les grilles de salaire, cela permet aux collaborateurs de se projeter en tant que salariés : on sait exactement ce que la boîte attend de soi pour être augmenté, promu, etc.
Et enfin, on valorise le dépassement de soi – plutôt que la négociation. Ce qui, au final, est quand même bien plus équitable.